ECHANGE et DON : 2 concepts bien différents…

Mon expérience de l’humanitaire depuis une quarantaine d’années m’a bien montré qu’on ne pouvait faire aucun amalgame entre ces 2 notions car elles sont de fait très différentes.

La réaction spontanée, l’élan du coeur poussent à s’émouvoir devant des situations désespérées :
catastrophes, besoins primaires insatisfaits etc… Nous, pays riches, comblons ce besoin et envoyons de l’aide tout azimut à ceux qui en ont besoin… Nous sommes là dans la dynamique du don unilatéral et c’est sans doute ce caractère unilatéral qui pose problème.

Pratiquement toutes les associations humanitaires ont connu et souvent usé de cette primo-réaction spontanée : ainsi ont-elles montré des bébés squelettiques, des photos cauchemardesques pour générer en nous la pitié et …récupérer des fonds en jouant sur les sentiments. Ne serait-il pas plus moral de faire plutôt appel à notre bon sens et à notre réflexion ?
C’est certes plus long, moins rentable immédiatement mais tellement plus respectueux non seulement à l’égard de celui qui donne mais aussi à l’égard de celui qui reçoit.

Hormis dans des situations exceptionnelles d’urgence, c’est ainsi que la plupart des associations humanitaires ont évolué dans leurs réflexions vers une dynamique d’échanges, de partage et de solidarité : on a alors de plus en plus parlé de « partenariat », de « respect de la différence et du choix desdits partenaires » se contentant d’accompagner les projets montés par les personnes en difficulté elles-mêmes plutôt que de continuer à les « assister ». Le don -s’il est généreux- est quelque part un peu inadapté car il génère la dépendance, l’assistanat, la revendication, la colère si celui-ci ne vient pas assez vite, le manque de respect et le mépris de ce qui a été envoyé puisqu’il a été reçu sans effort et la plupart du temps sans ajustement aux besoins réels. J’ai ainsi eu l’occasion de voir un clochard passer quotidiennement dans une association humanitaire locale réclamer des vêtements et interpellé sur le fait qu’on lui en avait donné la veille, répondre « Moin la jeté, l’était sale … »

La dynamique est parallèle dans la sphère politique où la politique du don gratuit est généralisée mais ce n’est sans doute pas par hasard : Qui n’a pas entendu parler de « Papa Debré » ou « Papa Mitterrand » nos « bienfaiteurs » qui apportaient sans efforts ni compensations-hormis sans doute le bulletin de vote – le lait à la récréation (au lieu d’encourager les familles à faire prendre un petit déjeuner à leurs enfants ce qui aurait été plus pédagogique) ou l’argent des citoyens que nous sommes. Le RMI s’il est lui aussi généreux-mais n’est ce pas un peu facile quand il s’agit de notre argent, celui du contribuable ?- n’est là encore nullement responsabilisant puisque pour des raisons politiques, on a « oublié » le volet « insertion » qui aurait demandé un « retour », un effort à celui qui reçoit … mais n’est-il pas plus « rentable » politiquement d’assister que de responsabiliser ? C’est ainsi qu’on a acheté la « paix sociale »… Là encore, on voit les effets pervers du don unilatéral sans compensation. Aurait il été vraiment immoral non seulement d’apporter une vraie formation professionnelle mais pourquoi pas de demander aux bénéficiaires de travailler 3 heures par jour au service de l’Etat, d’une commune ou d’une association afin de respecter leur dignité et de ne pas les traiter en assistés et en parias vivant aux crochets de la société. Le don, ici permet de dominer, de manipuler et de rendre dépendante une population en difficulté … Là encore aucun appel à la responsabilisation ni à un véritable échange (tu reçois une allocation mais il te faudra fournir un petit travail en retour au bénéfice de la société). Aucun respect de la dignité humaine….

Voilà pourquoi au niveau de notre association, je suis beaucoup plus favorable à l’échange -via une cotisation et des échanges en grains de sel- qui sont des facteurs essentiels pour équilibrer la relation qu’à une « politique » de don unilatéral. En effet, il n’est pas naturel dans la société où nous vivons basée sur l’assistanat d’apporter à son tour le meilleur de soi même. Et c’est toute l’originalité et l’intérêt du concept du S.E.L …auquel nous sommes tous attachés.

J’ai entendu parler d’autres systèmes où l’on était très sollicités afin de recevoir un service ou un savoir mais où chacun « se défilait » quand il s’agissait de donner à son tour… C’est impossible à Réunisel tant que nous gardons le « grain de sel »-au plan individuel- et la contribution solidaire-à un niveau collectif- en valeur d’échange.

De la même façon, le concept de « membre actif » et de cotisation me semble important à préserver.

D’abord, il permet le sentiment d’appartenance, de responsabilité et de participation au groupe.

Ensuite, il peut éviter les dérives de quelqu’un qui se permettrait par le canal d’un service rendu à une tierce personne de commettre des incivilités … A un membre, on fait en effet plus facilement confiance qu’à n’importe qui et l’association peut se porter « partie civile » en cas de manquement grave.

Enfin, il permet d’adhérer à des valeurs et à un minimum de règles via statuts et règlement intérieur ce qui exige une certaine éthique des participants. L’adhésion n’est pas seulement une cotisation mais aussi une acceptation des règles du groupe pour un fonctionnement harmonieux.

Patrice Louaisel

  • Auteur/autrice de la publication :
  • Publication publiée :27 octobre 2014
  • Post category:SEL et société